Ma mère Huguette disait ceci : « Je ne laisse aucune épreuve me faire oublier que les fleurs poussent. »

Après avoir exploré l’action et l’émerveillement comme portes d’accès à la joie, voilà que nous osons entrouvrir celle de la souffrance. Vous êtes possiblement aussi surpris que nous l’avons été à l’idée de considérer la souffrance comme un passage vers la joie. Elle se présente plutôt à nous comme un mur nous séparant du plaisir et du bonheur, mais laissez-moi vous partager nos fameuses découvertes issues de cette rencontre avec la réalité de la vie qu’est la souffrance.

Nous devons préciser d’emblée que notre intention n’est pas de faire l’éloge de la souffrance. Notre responsabilité est bien de veiller à ne pas en causer aux autres ni à nous-mêmes, et de faire ce qui est en notre pouvoir pour éviter celle qu’on peut contourner.

Toutefois, il y a cette souffrance qui, inévitablement, se présente dans notre vie comme une invitation à nous rencontrer. Bien sûr, notre premier réflexe, probablement issu de notre instinct de survie, est de fuir cet état de souffrance par différents moyens. En occident, nous avons adopté deux stratégies pour éviter de rencontrer la souffrance :

• la mettre sous le tapis (Ben non, ça va ben aller.);
• se répandre sur les autres (Tu ne devineras pas ce qui m’arrive...)

Ces deux options sont inconsciemment deux façons d’éviter de rencontrer ce qui est là et ce qui se passe en nous.

Nous avons peur de ressentir la souffrance et ne voulons pas quitter notre confort. Ce faisant, on s’épargne de contacter la souffrance à court terme et hop! on la plonge dans notre sac à dos pour longtemps. Elle revient ensuite nous hanter ou s’inscrit dans notre corps en se manifestant autrement.

L’autre posture que nous souhaitons emprunter est d’oser la rencontre, rester là quand une difficultée douloureuse se présente à nous. Rester là sans tenter de fuir, sans vouloir qu’elle s’en aille au plus vite. Prendre le temps de ressentir, de visiter ce qui se passe en nous. Pour ma part, j’étais plutôt le champion du balayage sous le tapis pour les choses importantes et un athlète pour me plaindre des banalités. Pendant des années, j’ai tenté d’éviter de rencontrer ma souffrance. J’avais possiblement peur de ne pouvoir la tolérer. J’avais peur de perdre ma joie, de me perdre... peur d’en mourir. Je vous partagerai les trésors dénichés lors de nos rencontres de groupe concernant la souffrance comme porte d’accès à la joie, à partir d’une expérience personnelle.

Un doux matin de juillet, bien assis dans mon « Adirondack » rouge devant le fleuve, je contemplais la la beauté du paysage et me berçais du bruit des vagues. Tout à coup, j’ai ressenti en moi une immense douleur reliée aux soucis de notre fils. Vite fuir ! Fuir dans l’action, me changer les idées, appeler une amie... Mais rien ne m’était soudainement possible, j’étais paralysé dans cette chaise, prisonnier de cette souffrance. La pire rencontre de ma vie... et croyez-le ou non... la plus libératrice. Voici ce que j’en ai appris à ce moment, pendant les semaines qui ont suivi et à travers nos dialogues si riches à la Maison des Leaders.

1. Premièrement, j’ai découvert que j’étais capable de tolérer cette souffrance, bien qu’elle soit immensément douloureuse.

2. Deuxième découverte, double cette fois-ci : la joie est toujours présente, indépendamment de la situation, et nous pouvons la saisir. Elle peut co-habiter avec la souffrance. OUF! Quelle découverte! Faire l’expérience de cette cohabitation de la joie et de la souffrance m’a baigné dans une joie profonde. Ces deux premières découvertes m’ont donné une plus grande confiance en moi et dans la vie. La fameuse devise de ma mère devenait mienne : « Je ne laisse plus aucune épreuve me faire oublier que les fleurs poussent ».

Depuis ce jour, j’ai moins peur de souffrir. Je n’ai presque plus peur de la souffrance que j’aurai à rencontrer sur ma route. J’ai réalisé qu’intérieurement je pouvais la contenir et que je n’en mourrais pas.

Je sais, ou plutôt « ça sait en moi », que je peux la contenir et que la joie sera toujours présente pour en diluer l’impact. Ce n’est malheureusement pas encore le cas pour la douleur physique, pour laquelle je n’ai pas une grande tolérance !

3. La troisième découverte est celle de la rencontre. Accueillir la souffrance qui est là, rester là, présent à ce qui se passe à l’intérieur, peut me permettre de rencontrer des zones en moi inconnues jusque-là. Lors de cette rencontre sur ma chaise rouge, j’ai pris conscience de l’agitation qui m’habitait. J’ai découvert que vit en moi un introverti, un contemplatif qui a bien besoin de sa place. Tout un constat pour un gars qui s’est toujours identifié comme extraverti! Je lui donne maintenant plus de place et ma vie me semble plus équilibrée, plus douce. Quelle joie d’assister à sa naissance, comme le dit notre cher père Yves de l’Abbaye Val-Notre-Dame !

4. Quatrième découverte : devenir plus poreux à la souffrance me rend automatiquement plus poreux à la joie, au plaisir des sens et au bonheur. Au fil des années, je m’étais fabriqué une armure solide pour ne pas ressentir la souffrance. On me disait d’ailleurs que j’étais fait en caoutchouc. Cette carapace m’immunisait momentanément contre la souffrance, mais me rendait aussi imperméable à la joie. Cette couche fondant, je me sens plus vulnérable depuis, plus sensible, mais aussi plus vivant. Notre ami Guy Corneau nous avait dit que nos stratégies à éviter l’inconfort à court terme étaient source de tristesse à long terme, que pour cultiver une joie à long terme, il nous fallait apprendre à tolérer un minimum d’inconfort à court terme. C’est comme aller chez le dentiste pour éviter une carie éventuelle.

5. Le cinquième trésor, plus douloureux à rencontrer, est le constat que la principale source de ma souffrance est reliée à ma résistance, à la difficulté que j’ai à accueillir ce qui se présente à moi. Constater que les situations n’ont pas un si grand pouvoir à m’atteindre, mais que je me fais souffrir moi-même par les événements extérieurs me chavire. En prendre conscience me redonne beaucoup de pouvoir. Je peux faire fondre une grande partie de ma souffrance. Devenir de plus en plus libre des conditions extérieures pour être bien est source de joie profonde.

Notre sage amie Nicole Bordeleau nous incite à nous poser la question suivante : est-ce la situation elle-même qui me fait souffrir ou ou est-ce plutôt mon attitude à moi face à cette situation? Ça permet parfois de relativiser ce que l’on catégorise de souffrant pour qu’il le devienne de moins en moins.

6. Puis, le cadeau ultime est celui de découvrir, après avoir traversé le brouillard, le fruit de ce passage. Parfois la récolte est lointaine, le fruit tarde à nous apparaître. Ça aura d’ailleurs pris 30 ans à ma mère, après la noyade de ma sœur, pour pouvoir dire : « Je ne voudrais pas avoir perdu ma fille... mais je ne voudrais pas ne pas l’avoir perdue. » Elle réalisait que, sans cette épreuve, elle ne serait jamais devenue la femme qu’elle était devenue. Elle trouvait enfin quelque chose à célébrer.

Elle avait réussi à transformer la souffrance en humus pour fleurir. Elle honorait alors l’expression de ma grand-mère qui me répétait, quand je lui disais qu’une situation dans ma vie était de la « marde » : « C’est justement ce que je mets dans mon jardin pour que ça pousse!!! »

7. Finalement, en apprenant à apprivoiser ma souffrance, à la rencontrer, il m’est plus aisé de rencontrer celle de l’autre. Je deviens alors attentif à la souffrance autour de moi, dans ma famille comme au boulot. L’élan de la compassion et de la bienveillance m’habite. Je suis plus présent à ce que vivent mes clients, mes collègues et, ce faisant faisant, mieux outillé pour entendre leurs inquiétudes, leurs peurs, leurs difficultés. Étant plus au fait de la réalité, je peux agir avec plus de justesse et contribuer à façonner un environnement plus propice au bonheur pour tous.

À la prochaine difficulté rencontrée, si je restais là... sans résister.

Rémi