Quand j’étais petit et que je n’arrivais pas à me décider, je devenais anxieux. J’avais peur de me tromper. Par exemple, j’avais peur de regretter d’avoir choisi le pyjama brun plutôt que le bleu. Ma mère me proposait de fermer les yeux... et d’écouter de l’intérieur. Je trouvais ça bizarre, mais étrangement je me visualisais dans le bon pyjama, et le doute s’estompait. C’est en explorant la porte du silence que cet enseignement de ma mère m’est revenu.

Il est bien difficile d’entendre quand il y a beaucoup de bruit, et il en a en titi dans nos vies, nos organisations. Il y a tous ces sons qui résonnent, les rivières de mots qui débordent, et il y a aussi le bruit visuel. Les recherches démontrent d’ailleurs que 85 % de notre cortex cérébral est mobilisé pour interpréter ce que nos yeux voient. Alors, tout ça consomme beaucoup d’énergie. Voilà pourquoi, dans les monastères, on limite le bruit, et les lieux sont dépouillés. Toutefois, limiter les bruits et suspendre la parole nous angoissent parfois un peu. On a parfois peur du silence, c’est pourquoi nous le fuyons. Bien sûr, limiter le bruit extérieur nous fait contacter tout le bruit à l’intérieur de nous. Le tintamarre de nos pensées, qui sont en plus répétitives. On ne souhaite pas vraiment rencontrer notre agitation, nos incohérences, nos souffrances. Peut-être avons-nous tout autant peur de rencontrer notre grandeur, nos potentiels, nos rêves? Et si on se privait aussi de rencontrer la joie profonde? Osons le silence extérieur, seul et en groupe, et saisissons cette occasion de nous rencontrer.

À la Maison, nous avons réalisé au fil des années que le silence s’apprivoise en le pratiquant. Et plus on en a, plus on en veut. Il nous permet de rentrer dans notre maison à l’intérieur de nous. La cacophonie intérieure s’apaise, les pensées continuent de rouler en boucle, mais on s’y attache de moins en moins. Puis, on contacte le silence aussi de l’intérieur.

La plus grande découverte de notre exploration nous vient de notre rencontre avec Thierry Janssen en début d’année. « Le silence n’est pas l’absence de bruit, le silence est toujours là derrière le bruit. Il inclut tous les sons. » On peut donc se connecter à ce silence, à cette paix, à cette énergie d’amour dans laquelle on baigne, et ce, en forêt comme dans le métro.

Lors de notre marche dans le désert au Maroc, nous en avons fait l’expérience. Nous nous étions donné comme exercice de contempler le silence extérieur pour qu’il nous guide vers le silence intérieur. Premier constat, le silence embrasse tous les bruits et les laisse s’évanouir... sans rien ajouter, sans réagir. Deuxièmement, il ne semble avoir aucune attente, aucune intention. Puis, troisièmement, nous avons eu l’impression qu’il se moquait de nous en nous laissant entendre : « C’est vous qui m’appelez Silence... Moi, je suis simplement ». Depuis, personnellement, j’essaye d’accueillir les paroles et les bruits sans les qualifier, sans trop réagir ou répondre à tout. J’essaye de laisser fondre mes attentes et de moins en moins m’identifier à mon personnage. Je me sens plus silencieux, parfois.

On découvre alors qu’on commence par oser être en silence. Ensuite, on apprend à faire silence, puis à laisser le silence se faire, ou plutôt se connecter à lui... pour en arriver à être silence, ce qui pourrait être synonyme de paix, d’amour...

Il n’y a rien d’autre à faire que de savourer l’expérience du silence. On peut en parler, écrire sur lui, mais rien ne vaut sa rencontre. Nous avons donc, dans nos groupes, tenté quatre espaces de silence.

Nous sommes partis seuls errer dans la ville pour découvrir que de marcher consciemment en silence nous rendait davantage poreux à tout ce qui se présente à nos sens. Nous avons partagé le repas en silence et rencontré, là aussi, combien tout semblait plus savoureux, plus goûteux. Certains ont découvert qu’ils communiquaient autrement avec les autres et d’autres ont rencontré leurs inconforts et même leur agacement. Rester en silence alors qu’on se voit peu souvent était pour certains un gaspillage de temps. D’autres ont savouré l’instant sans chercher à communiquer avec les autres. Certains ont ressenti de la solitude et d’autres on fait l’expérience de la « Communion ». Plusieurs se sont sentis davantage connectés aux autres et à la fois à eux-mêmes dans cet espace de silence.

Mais ce qui est fascinant, c’est ce que je rencontre en moi grâce à l’expérience. Sentir le phénomène de communion fait en sorte que je ne me sens plus jamais seul, toujours en communion avec la nature, avec les autres.

Nous sommes ensuite partis marcher deux par deux en silence et nous avons réalisé combien les mots sont accessoires pour trouver le bon rythme, l’harmonie. On y arrivait par une présence attentive à l’autre et à soi plutôt que par les mots. Dernière épreuve : les partenaires de marche sont restés un bon moment en silence assis, l’un devant l’autre sans autres consignes que d’être là, ensemble, sans parler. Il y a eu des rencontres bouleversantes entre personnes qui se voyaient pour la première fois. Autant d’inconforts que de moments de grâce. Nous avons pris conscience que toutes nos émotions ne sont pas statiques, qu’on passe par toutes sortes d’états d’âme. Ça a été touchant de découvrir à quel point on peut rencontrer l’autre, se rencontrer soi-même dans le silence. C’est un espace de grande intimité. Lors de ces journées, nous avons aussi réalisé, en tentant d’être le plus silencieux possible, que pour l’être, il nous fallait ralentir, car vouloir faire vite génère beaucoup de bruit. Puis, nous avons pris conscience que le silence changeait notre relation au temps. Ensemble, nous avons compris l’importance d’écouter le silence... entre les mots, les notes de musique, derrière les mots. Écouter ce qui n’est pas dit, ce qui n’est pas manifesté. Aiguiser notre présence au silence.

Dans la Bible, il est écrit : « Au commencement était le verbe ». Le maître Omraam Mikhaël Aïvanhov nous fait réaliser que le verbe n’est pas la parole. Il est ce que l’on pense, ce que l’on ressent, là où on loge à l’intérieur de soi. La parole est certes importante, mais souvent elle déforme ce que je souhaite exprimer, ce qui peut engendrer des conflits et susciter l’incompréhension. Être bien enraciné en soi, dans le verbe, comme ressentir une grande compassion, ça se communique sans mots. La parole n’est pas toujours nécessaire. Quand on parle de tout notre coeur, de toute notre âme, même ceux qui parlent une autre langue nous comprennent. Apprenons à rester parfois avec le verbe. Une joie (ou une souffrance) ressentie n’a pas toujours besoin de mots pour être ressentie.

Et si on explorait la place du silence dans vos vies, dans vos organisations? Si vous osiez en faire l’expérience? Allez marcher silencieusement avec votre enfant avant d’engager une conversation difficile. Osez manger en silence avec votre douce moitié, ou en famille, ne serait-ce que pendant 10 minutes, puis partagez vos découvertes. Aussi, au boulot, osez réfléchir aux bruits (la pression, les bruits visuels, la somme des points à l’ordre du jour, etc.) et ouvrir des dialogues sur le sujet. Nous découvrirons que le silence est un puissant outil de management. Par exemple, lors d’un comité de direction, quand une discussion tourne en débat et que chacun est obnubilé par son point et qu’on ne s’écoute plus, un time-out s’impose. Chaque fois que j’ai osé une minute de silence dans des moments comme celui-ci, le calme est revenu, et automatiquement on est revenu en dialogue. Cette minute est juste assez pour que chacune et chacun prennent conscience de sa posture de conquérant qui veut avoir raison ou bien paraître.

Subtilement, on revient plus facilement au bien commun. Osons-le silence et réalisons comment les personnes sont capables de se réguler, car elles sont en quelque sorte bien intentionnées.

Apprivoisons ensemble le silence. Refaisons-lui de la place dans nos vies de différentes façons. Offrons-le nous et offrons-le à l’autre, car se taire, faire silence, écouter, c’est un cadeau, une forme de tendresse envers l’autre.

Puis, dans le doute, fermons les yeux et écoutons de l’intérieur.

Rémi